Loraine Furter
Speaking Volumes Tatoos/addendum pour Caveat @festival Bâtard, 2018

Loraine Furter

Loraine Furter est graphiste, enseignante et chercheuse. Basée à Bruxelles, sa pratique s’articule entre édition hybride (publications papier et numériques) et féminisme intersectionnel.

En novembre 2018 pendant le Bâtard Festival, elle participe au workshop Caveat organisé par OSP. Rassemblant une quinzaine de personnes aux profils variés (graphistes, artistes, curatrices, juristes), l’atelier propose de travailler autour de l’accord de collaboration en construction dans le collectif. Ce moment de partage a mis en lumière la nécessité de questionner chacune des propositions, parfois assez raides de cet accord. Avec Laurie Charles et Lola Martins-Coigus, elles ont élaboré un intéressant brouillon intitulé entente ♀ plutôt que de contrat.

Méthodes, outils, principes

Être graphiste indépendante ne veut pas dire pour Loraine « travailler seule », bien au contraire, car un travail est tout le temps une collaboration.

Cette indépendance et le fait d’être sa « propre structure », retire toutes rigidités dans sa manière de travailler. Une flexibilité qu’elle tente de cultiver avec ses collaborant·e·s.

Il ne faut pas se tromper, « flexibilité » n’est pas équivalent à un « manque de structure ». Elle a comme volonté dans tous ses projets « d’aller vers quelque chose de plus en plus clair et structuré », dans la façon de s’organiser à plusieurs. L’idée de retirer toute structure dans un souci d’égalité dans les rapports de pouvoir et de force entre les individus d’un groupe, est selon elle un leurre. Généralement il se produit l’effet inverse et ce manque de structure fait naître de nouveaux schèmes plus insidieux. Pensée qu’elle puise, entre autres, dans La tyranie de l’absence de structure de Jo Freeman. Loraine recherche et fait l’expérience de diverses méthodes, outils et principes pour rendre la communication et la visualisation d’un groupe et d’un projet plus intelligible. Elle nous en donne ici un certain nombre.

Loin d’avoir une fascination pour les grilles ou les chiffres, Loraine voit dans l’utilisation des « spreadsheet » (feuilles de calcul ou tableur), un moyen libre à multiple dimensions pour organiser, croiser et rendre visible les étapes et le temps de travail.

Par ailleurs, à l’occasion de discussions autour de l’idée d’un contrat féministe, d’autres outils ont été envisagé, notamment une cartographie. Ce qui a été pour elle un moyen de faire des croisements d’un autre type et de mettre en évidence les liens de proximité entre différents objets, notions et personnes dans un projet.

Pour plus de fluidité et un bon échange dans les communications liées à un projet, Loraine se donne comme « bonne pratique » de toujours faire des propositions, même ou surtout lorsqu’elle exprime un désaccord. Lorsqu’elle se retrouve face à des incompréhensions, elle tente aux travers de diverses questions, d’exprimer ce qu’elle a compris ou non pour maintenir le dialogue.

Please discuss, Speaking Volumes, 2018

Mais bien entendu il y a parfois des situations de conflits. Dans ces moments là, si la situation devient trop dure, elle met en pratique une stratégie apprise dans des formations d’« autodéfense verbale ». Au lieu de vouloir absolument régler le conflit de manière frontale, le plus rapidement possible, elle prend de la distance et se retire de la situation afin de trouver un moment plus serein pour résoudre le différent.

L’important, dans les projets auxquels elle participe, c’est de « créer le temps » et de considérer le budget par rapport à un temps de travail défini. Si une proposition est en déséquilibre entre ces deux derniers, elle préfère proposer de restreindre le nombre de chose à faire. Faire moins mais de meilleur qualité.

Ce qui résonne avec un autre de ses principes, face à un imprévu, par exemple des modifications de textes dans une édition qui est sur le point être envoyé à l’impression, Loraine préfère proposer de reculer la date de l’impression. Ce qui a pour but de se préserver d’un état de stress.

Féministe et politiquement active, elle fait de sa pratique de designer un pouvoir d’action, posant comme question, entre autres, la représentation des femmes dans le design graphique. Elle se forge des conditions éthiques dans la manière de travailler. Il y a peu de temps elle a découvert le Design Justice Network et ses principes de travail qui résonnent beaucoup avec ce qu’elle envisage, les questions de justice sociale appliqué à la pratique du design, « l’impact du design sur les communautés est plus important que les intentions du designer ».

« They say it’s love, we say it’s unwagged work », cette expression issue d’un mouvement féministe italien des années septantes s’applique à d’autres domaines, avec des differences, mais pour Loraine, faire du graphisme pour l’amour de le faire, sans respecter le fait que certain·e·s le pratiquent pour payer leur loyer, est un problème.

Liens

Design Justice Network The Black School Process Deck La tyranie de l’absence de structure, Jo Freeman Wages For Wages Against

Witch out!, Macao, 2016