Transquinquennal
Philip Seymour Hoffman, par exemple (extrait - Nederlandse ondertitels), Transquinquennal & Rafael Spregelburd

Transquinquennal

Transquinquennal est un collectif théâtral bruxellois. Le spectateur et la relation qui s’instaure avec lui est au centre de leurs préoccupations. Actif depuis 1989, le collectif est composé aujourd’hui de Bernard Breuse, Stéphane Olivier, Miguel Decleire et Brigitte Neervoort. Ils fonctionnent comme une seule entité, un panaché à quatre têtes qui a travaillé en collaboration de nombreuses fois. Pour leur projet/programme Changement à vue ils vont mettre fin dès le 31 décembre 2022 à l’aventure qui les lie.

Contourner

Stéphane commence par expliquer qu’il y a dans sa pratique deux économies de temps qui se chevauchent. Une continuité et des ruptures qui correspondent à cette obligation de présenter des produits (des spectacles). « Ces ruptures vont contre notre ADN et on se bat contre ça depuis toujours mais il y a cette obligation de présenter des projets. » Transquinquennal collabore régulièrement avec des invités sur les projets, mais cette collaboration reste souvent abrégée par les budgets. « On a essayé plein de situations pour que ce handicap devienne quelque chose de positif mais notre conclusion après 30 ans, c’est que ça ne marche pas. Ces situations amènent des gens à nous en vouloir, nous à en vouloir à des gens. On s’est donc plus ou moins brouillé avec toutes les institutions. Les institutions non-créatives, celles qui programment (les parkings), veulent des projets produits. On est donc coincé à avec d’un côté des gens qui ne peuvent travailler avec nous que sur des projets uniques, des institutions qui veulent des produits, et de d’un autre côté nous qui voudrions faire autrement. Les institutions et les artistes nous disent d’arrêter de les faire chier avec nos grandes questions sur le théâtre, il faut juste faire un bon spectacle. On se pose ces questions parce qu’on en est à notre cinquantième spectacle. En fait, plus le temps passe, plus notre point de vue est distendu par rapport aux attentes des institutions et des partenaires. »

Stéphane voit deux façons de contourner et poursuivre :

  • Travailler avec des partenaires qui travaillent aussi en collectif et qui s’inscrivent aussi dans la continuité.
  • Continuer de penser chaque projet comme une étape et non une fin. Et il n’y a pas un sommet au bout, non.

« Au niveau des institutions, c’est plus difficile. Il n’y a personne qui est soit dehors du système des “produits” (des spectacles comme objets, comme produits finis). Alors que ce qui nous intéresse c’est la relation, où le désir naît par le partage et non sur catalogue. Dans cette situation, on a été amené parfois à faire du bluff, et donc à faire croire aux institutions qu’on faisait un truc tout en essayant d’en faire un autre. »

Communiquer

Tout terrain, débrouille, de son parcours passé par la mise en page pour la Morale Laïque, les petites annonces de l’ULB et les fanzines punks, Stéphane apprend l’HTML et met en place, à l’époque, un site internet pour la compagnie. « On a dû être à ce moment-là une des premières compagnies à avoir un site et ça nous a permis d’épargner beaucoup sur les outils de promo papier. Pendant tout un temps on s’est débrouillé comme ça, mais pour moi ça a toujours été une problème. Je trouve que ça ne va pas que nous fassions nous-même ce site. Pour communiquer vers l’extérieur, il faut quelqu’un qui pose un regard de l’extérieur sur nous. »

Pour communiquer sur leurs projets et l’actualité, la compagnie utilise deux supports principaux, fiche spectacle et carte postale de saison. Comme ingrédients stables de leur identité graphique, un logo et une fonte (la Clarendon) définis il y a pas mal d’années par le bureau Speculoos. « Le problème c’est que notre communication s’est adaptée à l’industrie. On a pris le pli de faire de belles petites fiches spectacle. On est reconnu pour avoir une super communication, à la fois pointue, fun et bien faite mais on nous dit souvent que nos spectacles ne correspondent pas à notre com’. J’ai envie de dire “Alors pourquoi est-ce que vous nous forcez à faire une com’ comme ça ? C’est vous qui êtes dans un système qui ne veut que ça.” On ne peut pas être singulier dans ce système. On s’est rendu compte que d’essayer d’avoir à chaque fois un objet qui corresponde au spectacle, ça brouille les pistes. On aurait aimé pouvoir créer un ou des supports qui correspondent mieux à ce qu’on fait mais on a essayé plusieurs fois, et ça complique vraiment les choses. L’endroit où il y a plus de libertés quant aux supports de communication, c’est l’art contemporain. En même temps c’est très naïf de dire ça, mais le propos est plus sur le contenu. Dans le spectacle, on reste sur un rapport très chrétien où on sépare la forme et le contenu. Et les programmateurs s’intéressent de moins en moins au contenu. Ils sont parvenus à faire croire que le “comment ça parle”, c’est le contenu. Mais pour nous la question c’est: pourquoi ça parle ? De quoi on parle  ? Qui parle  ? Pourquoi on parle ? D’où ça vient ? »

Compiler

Blind Date book a été une collaboration graphique réussie. Le livre compile en brut les articles issus du blog du projet. « Sauf que ça n’intéresse personne. On l’a fait pour qui ? C’est vrai c’est de l’argent public. En fait, dès que tu sors des standards, personne ne sait communiquer. Si on veut faire un théâtre différent alors laissons tomber le prix des places, faites entrer les gens gratos comme ça personne ne pourra rien vous dire. Comment trouver une place pour les gens qui ne veulent pas rentrer dans la ligne. Nous, on n’y est pas arrivé. Le travail de discussion avec les institutions sur la com’ c’est de ne jamais être dupe. »

Ouvrir

« On travaille actuellement à la production d’un fanzine avec Rosi Riso. Ici c’est nous qui faisons la mise en page. Et de nouveau quand je le regarde imprimé, je trouve ça trop propre. C’est l’effet New Order. Tu pars d’un truc punk et à la fin c’est quand même un objet classieux. Maintenant la question c’est de savoir comment on va communiquer sur nos trois dernières années. La com’ de ces trois années mais aussi sur le tombeau de Transquin, la trace, ce qu’il y a après. »

Projeter

« On s’est rendu compte que le sujet autour duquel on tournait et qui nous tournait autour était “le changement”. Mais ce qu’on voit, c’est que les choses ne changent pas, surtout les pratiques, elles ne changent pas. On s’est dit “C’est quoi les conditions du changement ?”  Et en fait une des conditions du changement, c’est de faire le deuil de soi-même. C’est-à-dire que tu dois être capable de dire “Ce que j’ai, je ne l’aurai plus”. Et tu ne peux pas avoir de vrai changement si tu penses que ce que tu vas avoir est meilleur. La principale condition de résistance au changement, c’est la reconnaissance des autres. On ne veut pas changer parce qu’on a peur de perdre notre identité. Donc si tu veux changer, tu acceptes de perdre ton identité et donc on s’est dit “Ben, donc on arrête.” Après... on avait tout un programme pour organiser cet arrêt, mais après un an, ce programme ne tient plus. On a fait un spectacle, super dur à faire et à vivre mais dont on est très heureux parce qu’on pense qu’on y met enfin en jeu ce qu’on creuse depuis pas mal d’années. Mais ça n’a rien déclenché autour de nous. Alors il y a des moments où on trouve ça super fun et d’autres où on trouve ça super dur. On s’est dit “Mais merde, qu’est ce qu’on a fait ?” Comme situation à vivre à 50 ans, c’est un peu brutal. Changer de mode de vie, c’est OK, mais oui, actuellement, on est dans une grande incertitude, on ne sait pas ce qui va en sortir. Mais au moins, on aura essayé. La difficulté, c’est l’absence de diversité mais aussi de modèles de fonctionnement. Tout est toujours dans ce système pyrami-patriarcal, libéral, consumériste, y compris nous. Et quand tu veux en sortir, il n’y a pas de modèle. Ou ceux qui apparaissent comme des modèles donnent l’impression d’être dans des sectes. OSP, ça peut paraître une secte. Médor, ça peut paraître une secte, alors qu’ils sont en coopérative. Moi, j’ai fondé avec d’autres une coopérative de production de films en sortant de l’INSAS. Les conditions de productions étaient très dures pour une petite structure. On s’est tous disputé, puis la coopérative s’est arrêtée.

Après avoir fait partie d’un groupe punk, puis cette coopérative, j’ai rejoint Transquinquennal, donc pour moi, c’est une troisième aventure de groupe. Et donc maintenant, quand mes étudiants à l’INSAS disent “On va faire un collectif !”, je dis “Oui mais non, ne dites pas ça avant de l’avoir fait, faites quelque chose ensemble et puis voyez si ça devient un collectif ou autre chose.” Aujourd’hui le collectif devient comme un produit. Un des trucs qui manquent en art en Belgique, c’est qu’il n’y a pas de statut d’artiste –ou graphiste– chercheur. Comment on continue d’être chercheur alors qu’il n’y a pas de structure ? »

S’échapper

« Un truc qui nous nous a marqué, à Saint-Denis il y 20 ans, Stanislas Nordey et Valérie Lang ont été nommés dans un théâtre là-bas, banlieue difficile, etc. Ils ont décidé d’y faire un truc un peu révolutionnaire à l’époque, ils ont vraiment fait un théâtre ouvert. Ils ont arrêté les programmes, ils ont fait des places presque gratuites, le théâtre était ouvert 24h/24, les gens de la ville pouvaient venir. Ils ont engagé des migrants pour la cuisine, les enfants pouvaient jouer dans le théâtre, il y avait une école des devoirs, etc. Je ne me suis jamais senti aussi bien dans un théâtre. Ils ont tenu trois ans et puis se sont faits attaquer sur la comptabilité parce qu’ils avaient fait un trou, mais un trou ridicule par rapport à tous les autres théâtres autour, simplement, c’était un système différent qui fonctionnait là où aucun autre théâtre n’avait fonctionné avant. Ils les ont foutus à la porte. Ils ont mis un gars à la place qui faisaient venir les gens de Paris en bus. Aujourd’hui, il y a un autre théâtre en France dans la cambrousse qui, pareil, n’a pas de programme, juste une page web qui est en fait une webcam qui filme un tableau dans le bar, où ils inscrivent ce qui se passe chaque jour. Ailleurs, en France aussi un autre théâtre est gratuit, dans une municipalité de droite. Il y a un type qui a dit « Vous savez, ça ne coûte pas plus cher. » Ils ont profité du fait que le théâtre avait fermé et qu’il ré-ouvrait et donc sans obligation d’engager une équipe complète. Parce que le problème maintenant, c’est que si tu veux que le théâtre soit gratuit il faudrait licencier les employés de théâtre. Le mélange entre l’hyper-néolibéralisme et le PS c’est qu’il faut que ça marche comme une économie libérale, mais par contre, on ne licencie personne. Et donc on a les défauts des deux systèmes. »